Magda Hollander Lafon
Bâtisseuse de paix
15 juin 1927
Magda, juive de Hongrie, a 16 ans quand elle est déportée avec sa mère et sa sœur à Auschwitz-Birkenau. Quelqu’un lui souffle : « dis que tu as 18 ans ». Elle échappe ainsi à la chambre à gaz où sa mère et sa petite sœur disparaissent le jour même.
Après des années de silence, la parole de Magda se libère dans un mouvement de révolte face aux propos niant la réalité de l’extermination des juifs entendus dans les années 1970. Elle écrit en 1978 son premier livre – Les chemins du temps – et commence à témoigner sur le racisme et l’antisémitisme, la peur et l’indifférence qu’elle présente comme sources de la violence. Plus de 50 000 collégiens et lycéens l’ont rencontrée.
En mars 2012, Magda écrit son troisième livre – Quatre petits bouts de pain – après s’être souvenu de plusieurs moments de sa captivité. Une femme mourante lui avait fait signe de s’approcher. Elle lui avait tendu les quatre petits bouts de pain qu’elle tenait dans la main : « Prends, tu es jeune, tu dois vivre pour dire au monde ce qui se passe ici ».
Son travail de transmission est reconnu en 2016 par les Palmes Académiques et en 2017 par la Légion d’Honneur.
Passer de la mort à la vie : de victime à témoin
Dans ses témoignages, Magda élabore une pédagogie de transmission basée sur une préparation et un accompagnement de type oral et écrit ; le but est que chaque jeune puisse s’approprier personnellement le temps d’échanges. « J’ai conscience que ce serait destructeur d’enfermer la nouvelle génération dans une mémoire uniquement douloureuse. La question qui m’anime est : comment transmettre l’incommunicable avec des mots de façon à mobiliser en chacun un appel à la responsabilité, à la vie ? ».
Quelques semaines avant la rencontre, un questionnaire anonyme est remis à chaque jeune pour permettre d’oser plus facilement poser des questions ; elle leur demande s’ils ont déjà entendu des réflexions sur les juifs, s’ils font une différence entre l’antisémitisme et le racisme ; elle les questionne aussi pour savoir comment ils perçoivent les étrangers et s’ils ont été victimes eux-mêmes de racisme. Une rencontre préalable, avec des représentants des jeunes et des professeurs, permet ensuite de sélectionner quelques questions qui constitueront un levier pour un échange impliquant chacun. Un questionnaire sera aussi remis à chaque jeune après la rencontre pour prolonger le travail avec les professeurs, pour voir comment le témoignage a été reçu et compris. Magda a choisi cette méthode singulière pour que chacun se sente concerné individuellement.
Les détails donnés lors des échanges avec les jeunes ne sont jamais « crus » mais paradoxalement porteurs d’espoir : Magda privilégie les moments de sa captivité qui mettent en lumière l’Humanité qui persistait dans les Camps au milieu de l’abominable. Elle leur parle aussi de sa sortie des camps et en particulier d’une femme dont elle se souvient du regard si bienveillant ; ce souvenir lui permet d’expliquer à chaque jeune que le regard porté sur son copain de classe, ses proches, a une importance capitale. Elle met en parallèle ce regard respectueux de l’autre avec celui des Nazis pour expliquer que chacun d’entre nous peut aussi avoir un regard destructeur. Magda invite ainsi les jeunes à faire le choix entre ces deux regards dans leur vie de tous les jours. Elle explique aussi la montée du Nazisme pour éveiller en chacun le sens des responsabilités individuelles, pour que chacun se sente co-constructeur du présent et de l’avenir. Chaque jeune est ainsi considéré comme un citoyen responsable de ses actes comme de ses paroles et surtout capable d’agir pour bâtir une société plus humaine, plus fraternelle.
« Mon seul désir, en témoignant, c’est que vous trouviez confiance en vous-mêmes, que vous soyez capables de vous engager en personnes libres (…) Discernez, choisissez et devenez responsables de vos choix. Transformez l’indifférence et l’ignorance en solidarité. (…) Il vous reste maintenant à imaginer, à œuvrer ensemble, à cultiver de vrais liens, avec moins de peur, pour retrouver l’espérance en l’humanité de l’homme, pour être des témoins vigilants, aujourd’hui, là où vous êtes. Vous êtes les bâtisseurs de votre vie et vous êtes responsables de votre devenir. » (extrait de Quatre petits bouts de pain).
En mars 2021, Magda publie son quatrième livre – Demain au creux de nos mains – qui est un vibrant appel à vivre au meilleur de soi-même ; elle nous parle de moments de vie qui peuvent aider à mieux vivre et revient sur ses rencontres avec les jeunes. « Ce livre est un hommage à nos échanges. Il me permet de transmettre au creux de votre main ces quatre petits bouts de pain que j’ai reçus il y a 77 ans, pour que vous fassiez œuvre de vie. Je vous invite à oser espérer contre toute espérance, à créer, à inventer un demain pacifique et solidaire où il fait bon vivre. Je désire vous encourager à tenir bon, à croire en vos richesses et en votre bonté. J’ai foi en vous et en votre chemin ».
Magda s’était aussi rendu compte que très peu de jeunes étaient capables de trouver en eux des qualités. « Je leur pose alors une autre question : avez-vous un ami ? – Bien sûr – Alors je vous invite à le retrouver et à lui demander quelles sont les qualités qu’il apprécie en vous et réciproquement. Toutes les valeurs que vous trouvez chez votre ami sont aussi en vous, sinon vous ne les auriez pas reconnues. (…) Ces enfants, âgés d’une quinzaine d’années, ont une sensibilité et une intuition inouïes ! Ils sont aussi des passeurs. Chacun peut être révélateur des qualités de l’autre ». Magda parle également dans son livre des peurs, du pardon, de l’amour.